La tradition islamique nous rapporte de nombreux propos et actes du prophète Muhammad (.). Une fois l'authenticité de ceux-ci étudiée avec rigueur selon la tradition, les hadîths appellent une nouvelle réflexion certainement beaucoup plus importante. L'objectif est de tirer les enseignements visés par le Prophète () et de dégager les conduites que ces hadîths proposent.
Afin que cette réflexion, et cet effort d'interprétation aboutissent à des conclusions correctes, ils doivent obéir à un certain nombre de règles méthodologiques primordiales.
Il n'était pas de l'habitude du Prophète () de donner des cours strictement thématiques. Ses propos se présentent sous formes de conseils, de sentences ou de commentaires cours et adoptés aux circonstances dans lesquelles ils sont prononcés. De là, les différents éléments d'un même sujet apparaissent souvent dans des hadîths différents. Un travail de synthèse sur cette matière devient donc indispensable.
En voici un exemple :
Dans un premier hadîth le Prophète () dit :
" Quiconque ne formule pas l'intention de jeûner dès la veille, son jeûne n'est pas valide " (al-Bayhaqi).
Le hadîth ne précise pas s'il s'agit là d'un jeûne obligatoire, surérogatoire ou des deux à la fois.
D'autre part, Moslim rapporte ce témoignage de 'Aïcha l'épouse du Prophète () : "Rentré un jour à la maison [ après la prière du sobh] , le Prophète () demanda : " y-a-t-il quelque chose à manger ? Non, répondis-je. Alors je jeûne répliqua-t-il "
Il ne s'agit là certainement pas d'un jour de ramadan, le jeûne fait par le Prophète () ce jour là était simplement surérogatoire.
Ainsi on peut conclure que la règle énoncée dans le premier hadîth (la nécessité de formuler la veille l'intention du jeûne) s'applique seulement au jeûne obligatoire.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'interprétation des hadîths ne peut être réduite à une démarche simplement linguistique. Faire appel à des éléments historiques extérieurs au hadîth est dans plusieurs cas inévitable. L'exemple suivant peut parfaitement illustrer ce principe :
Le Prophète () dit :
" Je ne suis pas responsable de la personne qui vit au milieu des mécréants " (Aboû-Dâoûd)
Pour être bien compris, ce hadîth doit être ramené à son contexte.
Ce qui nécessite à son tour l'éclaircissement d'un point important concernant le Prophète (). On sait que pendant son séjour à la Mecque le rôle du Prophète était essentiellement de " réciter les versets, purifier et enseigner le livre et la sagesse " 62/2.C'est-à-dire transmettre les révélations au fur et à mesure qu'elles lui sont faites. A son arrivée à Médine, un élément nouveau va apparaître. Les musulmans ne sont plus des individus minoritaires comme ils l'étaient à la Mecque et où leur pratique était essentiellement " spirituelle " et " individuelle ". Là, une communauté musulmane autonome va naître, et donc des besoins nouveaux vont, du coup, surgir : (des litiges entre les membres de la communauté à régler, des questions de mariage et de divorce vont se poser...). De là, la pratique de l'islam va pouvoir se manifester d'une manière, toujours spirituelle bien sûr, mais également " sociale " et " communautaire ". Aussi une nouvelle fonction va être accomplie par le Prophète () celle de chef de la communauté. Et en tant que tel, le Prophète () prenait des décisions, et faisait des déclarations. Ceux qui le côtoyaient parmi ses compagnons étaient parfaitement conscients de ces différents aspects relatifs aux fonctions du Prophète (). Mais lorsqu'il arrivait à l'un d'eux de ne pas savoir en quelle qualité le Prophète () a agi ou s'est prononcé, il n'hésitait pas à lui poser la question. Lors de la préparation de la bataille de Badr l'un des compagnons, al-Houbâb ibnoul Moundhir, n'était pas d'accord avec le choix du lieu de campement des troupes musulmanes. Il vint demander au Prophète () : " Est-ce une révélation qui t'a recommandé cet endroit ou bien c'est un choix fait par pure stratégie ? ". Et sachant que c'était un choix du Prophète, al-Houbâb proposa un autre endroit qui fut, d'ailleurs, accepté.
En tant qu'autorité musulmane, le Prophète () avait la responsabilité de dédommager (par le payement de la diyya) la famille de chaque victime morte dans des conditions qui ne permettent pas de définir le meurtrier. La seule exception à cette règle, c'est lorsque la victime s'expose d'elle-même au danger de la mort, en se mettant dans des situations peu protégées. C'était le cas lorsqu'un musulman allait s'installer à cette époque là au milieu d'une tribu non musulmane. Et c'est cette responsabilité là qu'a décliné le Prophète () dans le hadîth.
Que l'interprétation des hadîths ne soit pas une démarche simplement linguistique, ne veut évidemment pas dire que les règles de la langue arabe ne sont d'aucune utilité dans cette réflexion.
Tenir compte du fait qu'on peut exprimer une idée de différentes manières, entre autre par des métaphores est indispensable pour une bonne interprétation des hadîths.
Le Prophète () a dit un jour à ses épouses :
" La première, parmi vous, à me rejoindre [après ma mort] sera celle dont le bras est le plus long " (Moslim n°2453)
Certaines d'entre elles prirent un bâton pour mesurer leurs bras. Or l'on sait que celle qui était la première à décéder après le Prophète (), parmi ses épouses, était Zeyneb bint Jahch. Elle était connue par son infinie générosité. La longueur du bras ne voulait pas dire autre chose que la générosité.
Dans un hadîth Qodsî, Allah s'adresse à Ses serviteurs en ces termes :
" Lorsque mon serviteur se rapproche de Moi d'un empan, je me rapprocherai de lui d'une coudée
et lorsqu'il vient vers Moi en marchant, j'irai vers lui en courant " (al-Boukhâri et Moslim)
Peut-il s'agir, dans la dernière phrase du hadîth, d'autre chose qu'une métaphore ? C'est ce que dit en tout cas ibn Qoteyba dans son livre "ta'wîl moukhtalif-il-hadîth"
" Dieu veut dire par-là : celui qui s'empresse à m'obéir, Je serais plus prompt à le récompenser ". Il ne s'agit certainement pas ici ni de marcher ni de courir au sens propre du terme.
Afin que les conclusions déduites des hadîths ne soient pas en contradiction avec l'ensemble du système juridique et conceptuel islamique, l'analyse d'un ou plusieurs hadîths ne doit pas être coupés des grands principes de la chari'a.
A une époque où la monnaie se faisait rare, et où le troc était la règle d'échange, la zakat al-fitr était payée à l'époque du Prophète () en nature. Certains continuent à penser au XXème siècle, qu'il faut toujours payer ainsi sans tenir compte du changement radical de contexte. Voilà ce qui en résulte : dans certains pays musulmans où cet avis a des adeptes, les bénéficiaires de la zakat, en accumulent des quantités de " riz " qui ne leur servent à rien. Comment donc se débarrasser de ce "fardeau" ? Ils vont le revendre à l'épicier du quartier à un prix plus bas que celui dont " les riches " venaient de payer pour la même marchandise, chez le même épicier !
Est-ce ceci, donc, l'objectif de l'islam à travers l'institution de zakât-ul fitr ?